Mai 1869 à la SFP : la première photo-couleur de l'Histoire
Nous avions conclu le chapitre précédent sur des doutes. Il s'agit à présent de les dissiper, de s'expliquer. Les historiens du monde entier reconnaissent à Louis Ducos du Hauron (LDH) le titre d'inventeur de la photographie des couleurs - en 1869 - et présentent comme illustration la fameuse image de "feuilles et pétales de fleurs" (ci-dessous).
Est-il pertinent de mettre en doute cette représentation ?
Bien sûr qu'il faut remettre en cause cette présentation des choses... surtout lorsque l'on s'adresse à des connaisseurs. Bien évidemment... puisque LDH, en personne, a noté dans la marge la date de février 1870. Et que de toute évidence il ne s'agit pas d'une diaphanie (donc à voir par transparence), et encore moins d'un sandwich de trois monochromes. C'est une reproduction collographique et c'est précisé. Mais ce n'est pas tout.
Lors de la présentation de mai 1869, nous dit Alcide : "Il y avait une diaphanie richement nuancée et à titre de démonstration encore plus concluante, un disque divisé en secteurs où la gamme des couleurs du spectre se déployait en tonalités bien tranchées." Et Louis précise, parlant de la diaphanie : "Cette épreuve se voyait par transparence. Elle était constituée par trois pellicules (ou feuilles de mica) superposées et portant chacune l'un des trois monochromes, rouge, jaune et bleu, obtenus sur gélatine colorée bichromatée."
Les choses sont claires. Et dans la "malle au trésor" découverte par Joël Petitjean, il y avait effectivement des négatifs (voir ci-dessous) qui pouvaient correspondre à ces deux épreuves... et même un monochrome cyan très dégradé. Il y avait aussi deux monochromes (en très bon état) jaune et cyan, sur mica, de la fameuse diaphanie de 1870 (ci-contre).
Voici donc des négatifs qui auraient appartenu aux deux premières épreuves en couleurs de l'histoire de la photographie. Pour le cercle à 12 secteurs : c'est sûr ! Pour la petite "diaphanie aux couleurs exaltées" : on peut se poser des questions...
LDH / Charles Cros : une double présentation
Il ne serait pas honnête de conclure sur cette double présentation - 1869, 1870 - sans dire que celle de 69 fut aussi doublement exceptionnelle. En effet, le rapporteur de cette séance historique dut présenter - aussi - l'étude tout à fait similaire d'un second inventeur : Charles Cros.
Ces deux chercheurs, Ducos et Cros, sans se connaitre, avaient développé les mêmes théories... mais seul Ducos était passé à l'expérimentation. Cros avait remis à plus tard devant "la grande dépense de temps et d'énergie" qu'il aurait fallu y consacrer.
Alcide insiste bien sur la différence en affirmant: "Il demeure donc établi que la présentation qui fut faite ne rentrait pas simplement dans l'ordre des choses abstraites et spéculatives, mais qu'à la date absolument officielle du 7 mai 1869, des photographies en trois couleurs furent présentées à une société savante française par un Français." Et c'est donc à ce titre et à cette date que Louis Ducos du Hauron entrera dans l'Histoire.
Ainsi fut donc évacuée, sans trop de chamailleries, la "question de priorité" et Alcide nous expliquera même que "... les deux champions refusèrent de croiser le fer... et que pleins d'estime l'un pour l'autre, il se lièrent de bonne amitié".
Des polémiques... mais aussi des soutiens
En dehors du petit cercle d'initiés de la SFP, l'annonce d'une telle révolution dans la manière de concevoir l'héliochromie passa presque inaperçue. Louis Ducos fut très déçu : "Des compliments sans chaleur, des félicitations pleines de réserve et de réticence..." Pire, ces théories nouvelles suscitèrent de vifs débats et même de violentes attaques, comme celle du Belge Monckhoven, "l'infaillible pontife de la science photographique". Notre inventeur répondra comme il pourra à ces remises en cause qui affecteront tout de même son moral et nuiront gravement à la mise en oeuvre de ses procédés.
Heureusement, il trouvera un soutien des plus valorisants, à la Société des Sciences de Lille, en la personne de Blanquart-Evrard. Ce "vénéré professeur" qui avait "surpassé Talbot" dans la photographie sur papier, "ce Gutenberg de l'imprimerie héliographique" (c'est Alcide Ducos qui s'exprime ainsi), avait résolu d'écrire une monographie sur la question, et de l’illustrer par un sujet en trois couleurs dont Louis Ducos lui fournirait les trois phototypes".
Malheureusement, la guerre de 70 provoqua "un grand désarroi" dans l'imprimerie lilloise. Puis Blanquart-Evrard tomba malade et mourut en avril 1872. Et avec lui, nous dit Alcide "fut ensevelie la démonstration par laquelle il avait voulu couronner l'oeuvre de Ducos du Hauron".
Mauvais coup du sort, le premier... et nous verrons qu'ils vont ainsi se succéder tout au long de sa laborieuse existence.
