La photo papier et le procédé négatif/positif

     Le Daguerréotype produit des images très fines mais uniques et le procédé est très délicat à mettre en œuvre. C'est pour cela que va se développer la technique du négatif / positif sur papier. On l'attribue à l'Anglais Henry Fox Talbot. C'est ce que l'on retient d'un rapide survol de l'Histoire officielle. À y regarder de plus près, nous découvrons, pourtant à la même époque, un personnage tout à fait original : le Français Hippolyte Bayard.

     Ce principe du cliché négatif avait été envisagé dès l'origine par Nicéphore Niépce, abandonné par son collaborateur Daguerre, il ne fut repris qu'en 1839, par divers expérimentateurs, en France et en Angleterre. Il mit du temps à s'imposer face au succès populaire et planétaire du daguerréotype. C'est pourtant ce principe là qui a permis le développement de la photo-argentique, grâce à sa souplesse et au tirage d'épreuves en nombre illimité.

Hippolyte Bayard (1801-1887) : un génie méconnu

     L'Histoire n'a pas vraiment retenu son nom. Et pourtant...

Ce fonctionnaire, qui fréquente les artistes, apprend en 1837, qu'un certain Daguerre aurait inventé un procédé photographique. Lui aussi s'était intéressé aux effets chimiques de la lumière et cette nouvelle l'incite à reprendre ses travaux.

     Lorsque Arago annonce, en janvier 1839, la découverte de Daguerre, il s'empresse de communiquer la sienne à un membre de l'Institut et en février-mars il montre ses premiers essais... et même à Arago, très embêté puisqu'il vient de s'engager à soutenir Daguerre auprès du Gouvernement.

     Le 24 juin 1839, Bayard organise une exposition qui rassemble une trentaine de ses œuvres devant les yeux émerveillés d'un public et d'une presse étonnée. Il y a de quoi ! Les épreuves présentées sont des positifs directs sur papier. Comment notre homme est-il arrivé à ce résultat ?

Faisons court : un papier enduit d'une solution de sels d'argent est noirci à la lumière ; puis il est imbibé d'une solution d'iodure de potassium et est exposé (tel quel) dans la chambre noire ; après la pose, cet iodure est dissous dans un bain d'hyposulfite, et l'image apparaît... en positif. Génial !

     On ne sait pas quel fut le cheminement de Bayard pour parvenir à cet incroyable résultat. Et on comprend mal que son environnement scientifique, artistique, médiatique ne fut pas plus interpellé par cette découverte. Son procédé sera déposé à l'Académie des Sciences le 11 novembre 1839... mais comme elle vient de prendre parti (avec Arago) pour Daguerre, il ne recevra qu'une obole.

     Dépité, il a l'idée géniale de se suicider – médiatiquement – en faisant circuler en 1840 une photographie de son cadavre. C'est la première mise en scène de l'histoire de la photo. Mais malgré ces funestes adieux, nous retrouverons de nombreuses traces de Bayard au cours des décennies qui vont suivre. Il collaborera avec la SFP, et mettra au point un daguerréotype papier... qui n'aura pas plus de succès que sa première invention : le cliché papier positif direct.

William Fox Talbot (1800-1877) : le calotype

Fox Talbot à Edimbourg en 1860.
Fox Talbot à Edimbourg en 1860.

     Le Britannique Fox Talbot est un homme à la culture encyclopédique. Il s'intéresse aux sciences mais aussi à l'archéologie et se sert de la chambre noire pour dessiner les vestiges des sites qu'il visite. En 1835, il réalise diverses expériences qui l'amènent à obtenir des images sur un papier au chlorure d'argent.

     Très pris par ses publications sur l'Antiquité, les choses en restent là... lorsqu'il apprend qu'à Paris, le procédé de Daguerre est présenté à l'Académie des Sciences. Immédiatement (le 31 janvier 1839), il expose le sien à la Société Royale d'Angleterre. Il est très vexé d'avoir été pris de court par le Français.

      Mais sa technique n'est pas vraiment au point. C'est ce qu'avouera son ami le savant John Herschel, devant Arago, lorsqu'il découvrira les réalisations de Daguerre.

Il se remettra donc au travail, découvrira un nouveau mode de développement et déposera enfin une demande de brevet à Westminster (le 8 février 1841) pour un procédé qu'il nomme « calotype ».

Exemple de calotype (calque négatif et tirage positif) tiré de l'ouvrage de Lécuyer.
Exemple de calotype (calque négatif et tirage positif) tiré de l'ouvrage de Lécuyer.

     Sans trop entrer dans les détails, disons que Talbot utilisait un papier au nitrate d'argent trempé dans une solution d'iodure de potassium. Ce papier pouvait être séché ou utilisé humide dans la chambre noire. Après exposition (1 à 10 mn au soleil), le calotype était lavé (toujours à la lumière d'une bougie) dans une solution de gallo-nitrate d'argent (ou acide gallique) puis doucement chauffé... et l'image négative apparaissait en quelques secondes. Elle était fixée à l'hyposulfite et une fois séchée, on pouvait la contretyper par contact au moyen du même procédé... pour obtenir autant de positifs souhaités.

     Le processus est relativement rapide et peu onéreux, mais il ne connaîtra pas (pour l'instant) la popularité des daguerréotypes. Il est vrai que l'image est beaucoup moins fine car elle est parasitée par le grain ou la fibre du papier. Le problème sera résolu lorsque nous passerons aux plaques de verre.

blanquart-evrard (1802-1872) : le tirage papier

Groupe d'académiciens au Collège de France. Calotype réalisé par Blanquart-Evrard en 1847.
Groupe d'académiciens au Collège de France. Calotype réalisé par Blanquart-Evrard en 1847.

      Tout le monde a entendu parler de Niépce, de Daguerre, de Talbot... mais de Blanquart-Evrard, ce n'est pas évident. Ce personnage réside à Lille où il gère l'entreprise de draperie de son épouse. Mais il se forme à la chimie et s'intéresse à la photographie qui vient de naître... au point d'obtenir des résultats bien supérieurs à ce qui était communément réalisé.

     C'est ainsi qu'il fut invité à venir à Paris (en avril 1847) présenter son procédé, au Collège de France, à quelques membres éminents de l'Académie des beaux-arts.

     Avait-il inventé quelque-chose de nouveau ? Pas vraiment ; il maîtrisait parfaitement les processus du calotype qu'il avait affinés. Il a été dit qu'un des collaborateur de Talbot avait vendu les secrets en sa possession... ce n'est pas impossible car il avait effectivement séjourné à Lille en 1844.

     Quoi qu'il en soit, il est clair que Blanquart-Evrard avait repéré les faiblesses du procédé de Talbot et en premier lieu, la qualité du papier servant au négatif, qui devait être fin et transparent... comme le sera le papier ciré mis au point par Gustave Le Gray. Ces progrès devaient déboucher sur l'ouverture, à Lille, d'un atelier dit d'imprimerie photographique (à Los-les-Lille, exactement) où Blanquart-Evrard publia, à partir des années 50, les œuvres des grands photographes du moment. Un des albums les plus prestigieux fut celui de Maxime du Camp « Égypte, Nubie, Palestine et Syrie, dessins photographiques... » paru en 1852. Que l'on comprenne bien : ces « dessins » étaient des photographies et l'album n'était pas « imprimé » mais il réunissait de vrais tirages photographiques selon la méthode de Talbot perfectionnée par Blanquart-Evrard.        Celui-ci se spécialisera d'ailleurs dans la production de papiers photographiques destinés au tirage.

Nous verrons que son dernier projet aurait pu consacrer l'invention de la photo-couleur due à Ducos du Hauron. Mais la guerre de 70 a contrecarré cette noble intention. Tombé malade, Blanquart-Evrard, le photographe-imprimeur lillois, décèdera peu après.